Solidarité et engagement
Qualifiée de « choc » par la grande presse, une étude bernoise non encore publiée[1] concluait récemment que « les pauvres meurent davantage du covid ».
Partant des données associées aux résultats de plus de 2,5 millions de tests, et sur la base de la géolocalisation du domicile des personnes testées, les chercheurs parviennent à une estimation de leurs conditions socio-économiques. Il en ressort par exemple que les dix pour cent les plus riches ont été significativement plus testés que les dix pour cent les moins aisés, chiffre qui, à lui seul, pourrait illustrer ce qu’on appelle parfois la « loi inverse des soins ». Selon ce postulat formulé dans les années 1970, la disponibilité de soins médicaux de qualité serait inversement proportionnelle aux besoins de la population desservie.
On ne sera malheureusement guère surpris d’apprendre que, plus exposés au virus, les moins riches ont davantage payé de leur vie leur tribut à la pandémie. Mais d’autres chiffres pourraient porter à l’optimisme : dans une proportion bien plus importante, ce même groupe a eu davantage recours à l’hospitalisation. Autrement dit, les moins favorisés, une fois atteints par le virus, n’ont pas été abandonnés aux portes des urgences ; ce sont même ceux qui ont tiré le plus grand bénéfice, en termes de survie, d’une hospitalisation avec ou sans passage par les soins intensifs. Atténuer, par des soins de qualité, les conséquences d’inégalités socio-économiques structurelles, n’est-ce pas justement ce qu’on attend d’un système de santé solidaire ?
Au cœur de l’éthique de celles et ceux qui font tourner nos institutions, parfois si évidente qu’on oublie d’en faire mention, la solidarité s’est, depuis quelque temps, trouvée sous le feu des projecteurs. Avec le déclenchement brutal de la crise sanitaire, c’est peut-être même un des rares matériaux qui n’ait jamais connu la pénurie ! Solidarité entre établissements, entre services, entre soignants, des soignants à l’égard des patients, des « jeunes » à l’égard des « vieux », de la société envers ses plus vulnérables et, bientôt, solidarité vaccinale… Bref, un déferlement inépuisable de solidarités !
Inépuisable, vraiment ?
L’engagement extraordinaire de toutes les personnes actives dans les soins ne doit pas cacher le fait que, justement, l’épuisement menace… Après plus d’une année de dépassements individuels et collectifs, il est grand temps que le retour progressif à une certaine normalité permette a chacun de prendre un peu de recul pour se ressourcer. À l’échelle de notre réseau, il faudra aussi, en tirant les leçons du passé récent, reconstruire une vision à long terme et dégager la voie d’une réorganisation continue et harmonieuse, qui fasse un usage généreux mais mesuré du capital de solidarité et d’engagement à disposition. Beau programme pour les années de l’« après ».
Un immense merci à toutes et à tous, et, surtout, un été lumineux !
[1] Julien Riou, Radoslaw Panczak, Matthias Egger et al., Socioeconomic position and the cascade from SARS-CoV-2 testing to COVID-19 mortality : Analysis of nationwide surveillance data, <https://osf.io/ep4x9/>.
« Il ne suffit pas de savoir de quelle maladie souffre un homme, mais il faut savoir comment se comporte l’homme malade »
Lev Semionovitch Vygotski